Travailler un storyboard, c’est travailler la narration visuelle. Il ne suffit pas de coller des cases les unes aux autres pour raconter une histoire. Ou du moins pour raconter une histoire fluide, organique, naturelle. Le storyboard du « Projet P » m’offre beaucoup d’occasions de me confronter à cette difficulté. Aujourd’hui, on continue le travail en reprenant le début de la BD, avec un changement de planches 1 et 2.
Les croquis préparatoires au storyboard des premières planches permettent déjà d’esquisser un début de narration. Mais l’écriture approfondie et détaillée du scénario ces derniers mois m’a donné de nouvelles idées pour l’étoffer. Je m’autorise en effet à passer encore du temps sur la scène introductive, qui est de la plus haute importance. Elle plante le décor, elle donne le ton, elle immerge le lecteur dans l’histoire. D’une certaine manière, si le scénario est bien construit, cette première scène est une miniature de toute l’histoire. Je m’efforce donc de bien travailler ces quelques cases et d’y injecter tout le sens contenu dans le scénario.
Avant le storyboard, un peu de travail sur les décors
Et pour que le storyboard de cette introduction soit meilleur, je m’aperçoit qu’il faut au préalable travailler sur les décors. Faire un peu de concept art, comme on dit dans le cinéma. C’est-à-dire dessiner des bâtiments, des vêtements, des objets, etc., tout ce qui peut composer l’univers du récit.
Par exemple, le bâtiment central de la première scène est une église. Mais pas n’importe laquelle : une église en pierre et en bois, et de petite dimension. Un édifice fait à la main, avec les ressources du coin, pour une paroisse peu nombreuse. J’ai donc cherché quelques références sur Internet, et essayé de composer une sorte de synthèse :
Au passage, on bon entraînement sur les textures. Je n’ai pas poussé le détail du bois, mais j’ai au moins pu réviser les textures pierre, brique et ardoise…
Le second bâtiment principal de cette première scène : une forge. Celle-ci se situe dans le même village, avec les mêmes ressources et la même échelle. L’idée est aussi de suggérer l’harmonie des constructions humaines avec la nature, c’est pourquoi j’ai opté pour un encastrement dans une colline. J’y ai passé moins de temps et il faudra détailler, mais l’idée est là :
Les cases de la première planche… dans le désordre
La scène que je veux raconter sur la toute première planche doit montrer un religieux en train de tirer une corde pour actionner la cloche de l’église.
Dans cette bande dessinée, je souhaite montrer du détail. Je veux m’autoriser un rythme lent de temps en temps, et ne l’accélérer que pour les scènes d’action. Il me paraît important de prendre le temps de montrer, par exemple, les efforts et souffrances des personnages dans leur confrontation avec la matière. Même s’il s’agit de fiction, l’idée est en effet de faire ressortir la réalité humaine. Or celle-ci se déploie dans une durée et un rythme qui n’ont rien à voir avec le montage épileptique de la narration hollywoodienne.
Tout ça pour dire que dans cette première planche, je dois me coltiner un gros plan sur des mains qui forcent sur une corde. Qui plus est en contre-plongée… Pour le débutant que je suis, c’est une belle épreuve !
Les premiers croquis ont confirmé la difficulté de l’exercice. Mais en insistant, je me suis rapproché sensiblement de l’objectif. Il faut toujours persévérer.
En ce qui concerne cette case précise, ce sera bien suffisant pour le storyboard. Passons donc aux autres.
Quelques croquis de recherche pour d’autres cases de la planche :
Du storyboard à la narration visuelle
Tout cela ne raconte pas une histoire. Pour passer de la collection de cases à la narration visuelle, il faut essayer d’abord de passer les infos dans le bon ordre. En toute logique, nous avons donc ici :
- situation initiale : un religieux au repos avec une corde devant lui
- ses mains sur la corde
- début de l’effort : il grimace
- ses pieds décollent du sol
- il est brièvement suspendu en l’air
- il retombe et la cloche sonne
Ce qui donne ceci :
Suivi immédiatement de la planche 2 (une seule case en pleine page) :
Je ne suis pas satisfait de la narration visuelle dans ce storyboard. Les informations sont là, mais ça manque de fluidité. Dans la première planche, je crois qu’il manque 3 cases :
- situation initiale : un religieux au repos avec une corde devant lui
- ses mains posées sur la corde
- ses pieds s’écartent et ses genoux fléchissent, en position d’effort
- début de l’effort : ses mains serrent la corde
- il grimace
- ses pieds décollent du sol
- il est brièvement suspendu en l’air
- il retombe au sol
- en retombant, il tire sur la corde pour l’amener le plus bas possible => la cloche sonne (planche 2)
Neuf cases, voilà qui pourrait faire un joli gaufrier pour la première planche. La régularité de cette technique convient d’ailleurs au sens de la scène : l’action que nous voyons est ancrée dans la vie quotidienne, elle est rituelle, régulière, s’inscrit dans les habitudes. (Toujours essayer de mettre la forme au service du fond.)
Le résultat :
C’est mieux, mais je trouve l’atterrissage final un peu brutal.
À suivre !