Hier, séance de portraits. Aujourd’hui, bande dessinée.
En mars, j’avais publié sur ce blog la planche n°1 crayonnée, accompagnée de quelques remarques. En faisant ce travail, je m’étais heurté à quelques difficultés notables, notamment dans les détails de la perspective, l’expressivité et le style des visages. Cette bande dessinée me sert d’entraînement, il n’est donc pas question de gommer les dessins pour les refaire ; mais il est important d’apprendre de ses erreurs, donc il faudra que je garde ces écueils en tête pour les éviter dans les prochaines cases.
Dans l’immédiat, il est temps d’aborder une autre erreur de cette planche 1 : une infraction caractérisée à la fameuse « règle des 180° ».
Composition d’une planche de bande dessinée : la règle des 180°
Quand on compose une planche, il faut garder pour préoccupation première la lisibilité de l’histoire, l’efficacité de la narration. En tout cas, ce sera ma préoccupation première. Et c’est pourquoi je dois faire particulièrement attention à la « règle des 180° ».
Cette règle est issue du cinéma. Elle postule que pour la bonne compréhension par le spectateur de ce qui se passe à l’écran et notamment de la répartition des personnages dans l’espace, la caméra doit évoluer d’un côté seulement de l’axe central de la scène, sans jamais le franchir d’un plan à l’autre.
Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Prenons l’exemple très simple d’un dialogue entre deux personnages filmés en champ / contre-champ. L’axe de la scène est défini par la ligne du regard d’un personnage vers l’autre. Pourquoi cette ligne et pas une autre ? Parce qu’elle relie les deux éléments principaux de la scène. Dans cet exemple, pour la clarté de la narration, il est impératif de maintenir la caméra d’un seul côté de la ligne, et notamment dans le passage d’un plan à un autre. La caméra décrit donc des mouvements sur un arc de cercle de 180° maximum, jamais plus. Une explication très claire avec schéma est donnée dans cet article.
Mais le dialogue n’est pas le seul cas où doit s’appliquer la règle des 180°. Dans toute scène, les changements de plan menacent de perdre le lecteur / spectateur si la géographie des différents éléments n’est pas claire. Il est donc important de repérer l’axe central de la scène, celui qui donne du sens, et de maintenir le point de vue de l’observateur d’un seul côté de cette ligne.
Pour une étude très instructive de cette règle et des différentes techniques de cadrage en cinéma et BD, je vous renvoie à un ouvrage exceptionnel : Framed Ink. Drawing and Composition for Visual Storytellers, de Marcos Mateu-Mestre. (Ce qui me fait penser qu’il va falloir que j’ouvre une rubrique « livres » sur ce site !)
Comment j’ai enfreint la règle des 180° dès la première planche
Voici la planche n°1 :
Dans la planche ci-dessus, l’axe central de la scène est la ligne qui passe de Notre-Dame aux personnages. Ces deux entités sont les deux éléments principaux de la scène, qui sont en relation l’un avec l’autre. Les personnages sont en effet des lycéens en train de dessiner la cathédrale. Le passage de la case 1 à la case 2 respecte la règle des 180° ; mais celle-ci est enfreinte lors du passage à la case 3. L’axe est franchi, et on se retrouve de l’autre côté.
Ce n’est pas très grave dans ce cas précis, puisqu’il n’y a aucun doute vraiment possible sur qui sont ces personnages et où ils se trouvent par rapport à la cathédrale. Mais ce sont des erreurs comme celles-ci qui, en s’accumulant, fatiguent le lecteur et lui donnent l’impression diffuse que la narration n’est pas fluide.
Par curiosité, j’ai essayé de redessiner cette case « à l’inverse », c’est-à-dire sans franchir l’axe de la scène :
Je ne suis pas allé plus loin, je faisais ce croquis simplement pour me rendre compte de ce que ça donnerait. C’est mieux à beaucoup d’égards, ne serait-ce que pour la visibilité du personnage de gauche, qui est tout de même le 2e personnage le plus important de la BD.
Cependant, ce satané axe pose un nouveau problème. Si je décidais de m’y conformer et donc de choisir cette 2e version de la case, il faudrait aussi que je change l’orientation de la case 4, et ça, ce n’est pas possible. Dans cette dernière case, je veux en effet que les yeux du personnage regardent vers la droite, pour inviter le lecteur à tourner la page. Ce n’est pas un immense cliffhanger, mais c’est toujours ça.
Planche 2 : à l’attaque
J’ai donc commencé la planche 2 aujourd’hui.
Première case :
Eh bien, ce fut beaucoup d’efforts (plusieurs heures) pour très peu de résultats.
La case dans la planche :
Il y a trop de cases dans cette planche ! Ce sera une erreur récurrente, car j’ai fait le découpage et le story-board à une époque où je n’avais pas conscience de l’importance de garder un nombre de cases par planche le plus bas possible.